Changement individuel et transformation sociale

Ce texte est la version française de ma communication pour le colloque d’Athènes (27-29 juin 2014) « Interrogating transformative processes in learning and education: an international dialogue. Thème : Transformative Learning : cognitive and/or psychic and/or social change?

Une représentation largement répandue oppose souvent changement individuel et transformation sociale. Cette habitude de pensée consiste à soutenir qu’il s’agit de deux projets relevant de domaines séparés, d’agendas différents : d’une part la pédagogie, l’éducation, de l’autre la politique. Elle met en effet d’un côté la fonction de l’enseignant, de l’éducateur ou du formateur qui agissent à l’échelle des individus pour les éduquer à la fois sur le plan intellectuel et moral, leur transmettre des connaissances et leur permettre de développer leurs compétences ; et de l’autre côté la fonction du citoyen – de la citoyenne , de l’homme – de la femme politique qui est d’agir pour améliorer la société, de corriger ses dysfonctionnements, de réduire les injustices, voire de la transformer radicalement en mettant fin à la domination et à l’exploitation.

Certaines des critiques qui ont été adressées au Transformative Learning (TL), ou à certains travaux qui s’en réclament, se fondent sur cette base ; elles consistent à lui reprocher de centrer son projet sur l’individu, sur des changements cognitifs et/ou psychiques et d’oublier que les connaissances, les attitudes et les comportements individuels sont largement influencés, sinon déterminés par l’idéologie dominante, les normes, les structures, les rapports sociaux. Face à ces critiques les défenseurs du TL peuvent faire appel à des arguments fondés sur l’interactionnisme ou le constructivisme, du moins sur tel ou tel des courants qui se rangent sous ces étiquettes. Mais la discussion risque alors de déboucher dans un débat sans fin entre individualisme méthodologique et holisme, entre un point de vue psychologisant et le déterminisme sociologique.

Est-il possible de sortir d’une pensée de la disjonction (« ou bien, ou bien ») et d’adopter une pensée de la conjonction (« et, et »), de la complexité, comme nous y invite Edgar Morin, sans pour autant tomber dans la confusion ? Je retiendrai de cet auteur que l’on peut prendre en compte l’individu, la conscience, la pensée, sans « réduire l’humain à la seule individualité » (Morin 2001, p. 45). Selon lui, l’humain se définit par trois notions complémentaires et inséparables, alors même qu’elles paraissent s’opposer : l’individu, la société et l’espèce humaine. Leur relation est « dialogique », en ce sens qu’elles se répondent : l’espèce est faite de tous les individus, mais, dans chaque individu, il y a tout ce qui fait l’espèce humaine. De même, la société est constituée d’individus et chaque individu est totalement social, constitué par le processus de socialisation et par son appartenance à la société, aux groupes et aux communautés auxquels il appartient. Dès sa naissance, le groupe le nomme, lui donne un nom 1, une identité. Paul Ricoeur a bien montré le caractère paradoxal de l’identité, qui fait que nous sommes à la fois idem (le même), semblable ou du moins identifiable à autrui, par tout ce que nous avons en commun, et ipse (soi-même), c’est à dire unique.

La pensée complexe permet de ne pas s’enfermer dans de faux débats, de dépasser les cloisonnements disciplinaires et de réunifier la connaissance en reliant le biologique, le psychique et le social ou le culturel. Comment les questions de ce genre se posent-elles pour la théorie et la pratique du TL ?

Differentes approches du TL : changement individuel ou transformation sociale ?

En préparant cette communication, j’ai lu l’article de Patricia Cranton et al. (2006) « Reflections on the Sixth International Transformative Learning Conference » et notamment son introduction. Elle évoque « many presentations focused on intuitive, imaginative, arts-based and holistic approaches; and at the same time, people working within the rational, cognitive perspective… »2. Et dans sa conclusion, elle rappelle la typologie proposée par Ed Taylor qui distingue sept courants constituant le « mutifaced concept of TL theory » (Taylor cité par Cranton 2006, p. 155). Trois de ces courants sont plutôt orientés vers le changement individuel – leur intitulé a pour préfixe « psycho- » , et les quatre autres sont plus tournés vers la transformation sociale, les groupes discriminés, la dimension culturelle, voire planétaire. Et, dans le même article, Elisabeth Kasl écrit « the conference have been alive with attention to Jungian and other transpersonal perspectives on transformation, emancipatory learning linked to social justice and social action, and the importance of engaging whole persons in multiple dimensions… »3. Elle exprime aussi l’espoir que « this conference will become a comfortable home for all who seek to forge theories and practices about profound change in human systems at the levels of both the individual and the collective.4« 

Comment une théorie du TL peut-elle prendre en compte ces deux niveaux, l’individuel et le collectif et comment sont-ils reliés ? Sur quoi fonder une réflexion qui vise à approfondir cette question complexe et dépasser l’opposition réductrice entre ceux qui considèrent que le changement social sera la conséquence d’une transformation préalable de la manière de penser et d’agir d’un ensemble d’individus et ceux qui affirment que les individus ne changeront pas si la société dans laquelle ils vivent n’est pas d’abord transformée, si les normes, les valeurs, les idées dominantes qui déterminent leurs façons d’agir et de penser n’ont pas préalablement évolué ?

Il me semble qu’il est possible d’éclairer la question en s’appuyant sur des bases philosophiques et anthropologiques solides. Pour éviter ces faux débats opposant éducation et action politique ou changement individuel et transformation sociale, je pense en effet qu’il est profitable de faire appel à des textes de deux auteurs plus anciens : Marx et Mauss. Du premier, je retiendrai un texte de 1845 : les thèses « Ad Feuebach », et notamment la troisième et la sixième ; du second, un article de 1924 : « Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie ». Ma communication a pour but de commenter ces deux textes et de montrer que l’on trouve y déjà les idées qui sont au fondement de ce que Devereux a nommé « complémentarisme » et de ce que Bourdieu désigne comme « la double vérité » dans ses « Méditations pascaliennes » (Seuil, 1997, p. 225). En s’appuyant sur ces deux notions, je pense qu’il est possible de concevoir une théorie du TL prenant en compte la complexité des processus en jeu et la richesse des interactions entre les échelles micro et macro, entre les individus, les sociétés et le genre humain, telles qu’Edgar Morin les décrit dans le tome cinq de « La méthode : l’identité humaine ».

Karl Marx et les troisième et sixième thèses sur Feuerbach

  1. La doctrine matérialiste de la transformation des circonstances et de l’éducation 5, oublie que les circonstances sont transformées par les hommes et que l’éducateur a lui-même besoin d’être éduqué. (…)

La coïncidence du changement des circonstances et de l’activité humaine ou auto-changement ne peut être considérée et comprise rationnellement qu’en tant que pratique révolutionnaire.

La troisième thèse est une thèse sur l’éducation (Erziehung) et sur la transformation des hommes par l’éducation et les circonstances. Marx parle en effet d’une part de transformer l’éducation pour qu’elle devienne transformatrice et pour cela d’éduquer les éducateurs. D’autre part, il dit que c’est l’activité humaine qui peut (et qui doit) changer les circonstances, le contexte (Umstände, étymologiquement : ce qui est autour dans le temps et dans l’espace). Il s’agit du contexte politique et social, des rapports sociaux qui contribuent à produire, à former les hommes tels qu’ils sont à un moment donné de leur histoire et qui doit être transformé pour produire des hommes – et des femmes – différents, des hommes et des femmes non plus soumis et aliénés, mais des hommes et des femmes émancipés. Mais comment sortir de l’aporie, du cercle vicieux de l’aliénation et la reproduction ? Par une auto-transformation, conçue comme praxis révolutionnaire, à la fois transformation de l’éducation, notamment de l’éducation des éducateurs, et transformation du contexte social, des rapports sociaux. Ce qui rend possible cette auto-transformation, c’est la coïncidence d’une nouvelle éducation et d’une action politique et sociale transformatrice, d’une action sur les esprits et d’une action sur les relations sociales, sur les manières d’agir et de penser qui constituent et reproduisent la société et les humains, membres de cette société. L’histoire est le produit de cette dialectique entre la reproduction et la transformation qui résulte de l’activité humaine, de la praxis, à la fois action éducative et action politique et sociale.

  1. Feuerbach résout l’essence religieuse en l’essence humaine. Mais l’essence de l’homme n’est pas une abstraction inhérente à l’individu isolé. Dans sa réalité, elle est l’ensemble des rapports sociaux (…).

La sixième thèse vient compléter la troisième en précisant notamment la conception de ce qu’est essentiellement l’être humain [menschliche Wesen] pour Marx. L’essence de l’homme n’est pas à rechercher dans une nature humaine abstraite inhérente à l’individu ; sa réalité, c’est l’ensemble des rapports sociaux. L’homme, l’être humain est constitué par les rapports sociaux qui le lient aux autres. On retrouve ici l’idée évoquée d’Edgar Morin de l’être humain comme être social, de la relation dialogique entre individu et société. Déjà chez Aristote : l’expression zoon politikon désignait l’homme indissociable de la cité à la quelle il appartient et qui le constitue ; comme être vivant (zoon), membre de l’espèce humaine, et comme être social (politikon), citoyen. Pour sa part, Félix Guattari, dans un texte de 1985 récemment réédité (Qu’est-ce que l’écosophie ? Lignes IMEC, 2013, p. 228) le formule en disant : « L’individu n’est au fond que l’intersection de composantes institutionnelles », autrement dit : « l’ensemble des relations sociales » dans lesquelles il est directement ou indirectement impliqué.

Les rapports du psychologique et du sociologique selon Marcel Mauss

Marcel Mauss dans son article « Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie », commence par situer la sociologie et la psychologie dans l’anthropologie, dans « le total des sciences qui considèrent l’homme comme être vivant, conscient et sociable » (p. 285). Il distingue ensuite les sociétés humaines des sociétés animales, en indiquant que l’on ne trouve dans ces dernières « ni ces volontés générales, ni cette pression de la conscience des uns sur la conscience des autres, ces communications d’idées, ce langage, ces arts pratiques et esthétiques, ces religions – en un mot ces institutions qui sont le trait de notre vie en commun. Or ce sont celles-ci qui (…) nous font non seulement homme social, mais même homme tout court. » (p. 286).

Il développe ensuite les services mutuels que la psychologie et la sociologie se rendent l’une à l’autre. La psychologie permet notamment au sociologue de comprendre le fonctionnement des représentations collectives (ou sociales) et de les décrire avec des termes précis, des concepts clairement définis. Mauss prend plusieurs exemples, et si certaines notions qu’il évoque sont aujourd’hui dépassées, dans le domaine de la psychopathologie ou à propos de l’instinct, ce qu’il dit de la notion de symbole et d’activité symbolique reste valable pour rendre compte aussi bien du psychisme individuel que pour expliquer une part importante des mythes, des rites et des croyances collectives.(p. 295). Puis il aborde ce que la sociologie peut apporter à la psychologie. Il mentionne d’abord l’étude des langages, phénomènes « d’abord sociaux, mais aussi physiologiques et psychologiques ». (p. 299) et décrit la vie sociale comme « un monde de rapports symboliques » (p. 300). Il évoque aussi le rythme et le chant, dans lesquels, « là encore, le social, le psychologique et le physiologique coïncident » et il ajoute : « partout, dans tous ces ordres, le fait psychologique général apparaît dans toute sa netteté parce qu’il est social ; il est commun à tous ceux qui y participent… (p. 301). Et Mauss conclut par des questions posées à la psychologie et appelle à une étude de « l’homme complet, de l’homme concret » qui doit dépasser l’étude de facultés humaines séparées. Dans toute l’oeuvre de Marcel Mauss, on retrouve ce souci d’étudier les phénomènes humains et sociaux dans leur totalité, comme des réalités globales, avec leurs dimensions sociologiques, psychologiques et corporelles ; dans leurs aspects concrets, matériels, comme dans leurs aspects psychiques et spirituels. Cette perspective est reprise et développée par Edgar Morin, je l’ai mentionné.  Elle est aussi présente chez Maurice Godelier (1984).

La convergence avec Devereux et Bourdieu

Mais je voudrais montrer qu’elle rejoint aussi une notion développée par Georges Devereux, celle de « complémentarisme ». Si l’ouvrage le plus connu de cet auteur est sans doute « De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement » (1980), c’est dans un livre paru en 1972 : Ethnopsychanalyse complémentariste » que cette notion est expliquée, notamment dans une introduction intitulée « argument ».

« Dans l’étude de l’homme (…) il est non seulement possible mais obligatoire d’expliquer un comportement déjà expliqué d’une manière, aussi d’une autre manière – c’est à dire dans le cadre d’un autre système de référence. »

« De plus, c’est précisément la possibilité d’expliquer « complètement » un phénomène humain d’au moins deux manières (complémentaires) qui démontre, d’une part, que le phénomène en question est à la fois réel et explicable, et, d’autre part, que chacune de ses deux explications est complète (et donc valable) dans son propre cadre de référence » (1985, p. 13).

Il ajoute que ce double discours ne peut jamais être énoncé simultanément par le même chercheur, bien qu’il y ait un rapport de complémentarité entre les deux. Devereux considère que cette notion de complémentarité en sciences humaines est l’équivalent du principe d’incertitude de Heisenberg en physique.

Elle rejoint également ce que Bourdieu désigne comme « la double vérité » dans ses « Méditations pascaliennes » (Seuil, 1997, p. 225). Celle-ci consiste à défendre le point de vue selon lequel on ne peut s’en tenir ni à l’objectivisme (sociologique et déterministe), pour lequel « il y a un monde social en soi, qu’on peut traiter comme une chose » (allusion à Durkheim), ce qui revient à « traiter les points de vue, nécessairement partiels et partiaux, des agents comme des illusions », ni « se satisfaire de la vision subjectiviste, ou marginaliste, pour qui le monde social n’est que le produit de l’agrégation de toutes les représentations et de toutes les volontés ». Il faut prendre en compte ces deux « vérités » : la vérité (la réalité) psychologique qui tient à la subjectivité des acteurs, à leurs actes individuels, mais aussi à leurs pensées, à leurs sentiments personnels, et la vérité (la réalité) sociologique, celle des normes, des structures et des cultures, bref des phénomènes sociaux. Le même phénomène peut être expliqué de façon satisfaisante par l’un ou l’autre discours, mais en rendre compte successivement par chacun de ces discours en rendra la compréhension plus riche parce qu’ils sont complémentaires.

Poser la question en termes de prééminence ou d’antériorité du psychologique sur le social ou inversement n’a donc pas de sens. Le comportement humain est entièrement social et psychologique. On retrouve aussi cette idée chez Alban Bensa, qui critique l’opposition entre holisme et individualisme et affirme que cette dualité n’explique rien, car « l’individu est impensable en dehors de la société et réciproquement » (Bensa 2010, p. 25).

Quelles conséquences pour la théorie du Transformative Learning ?

Les questions d’éducation, de formation, d’apprentissage transformateur (TL) notamment relèvent donc bien de ces deux discours, de cette double vérité. Plus largement, le changement individuel et le changement social, aussi bien que la reproduction sociale et les comportements individuels figés et répétitifs, sont les deux faces d’une même médaille. On peut focaliser son attention sur l’une ou sur l’autre, mais en aucun cas réduire le phénomène (de changement ou de reproduction) à une seule de ses dimensions. Si l’on prend l’exemple de la reproduction sociale, le poids des normes et des idées dominantes, transmises par l’éducation et sans cesse répétées dans le discours social environnant, déterminent bien dans une large mesure les manières d’agir et de penser de la majorité. Mais la soumission à l’autorité de ces normes peut, de façon complémentaire, s’expliquer par des mécanismes psychologiques en relation avec le rapport à la Loi, le sur-moi et la culpabilité.

Pour revenir à la théorie du TL, je rappellerai d’abord comment J. Mezirow le définit à l’occasion de son dialogue avec J. Dirkx. (Dirkx & al. 2006) :

« Ce processus rationnel d’apprentissage en pleine conscience est une application métacognitive de la pensée critique qui transforme un cadre de référence acquis – une mentalité ou vision du monde faite d’orientations et d’attentes, incluant des valeurs, des croyances et des concepts – par une évaluation de ses présupposés épistémiques »

« Ce processus rend les cadres de référence plus larges, plus différenciés, ouverts, réflexifs et émotionnellement capables de changement. Des cadres de référence ayant ces qualités génèrent des croyances et des opinions qui se montreront plus vraies et justifiées pour guider l’action »( p. 124, ma traduction).

Mezirow oppose dans ce texte sa conception du TL aux « Jungian and other transpersonal perspectives on transformation » défendues par J. Dirx. Sans prendre position dans ce débat, je m’intéresserai plutôt à la façon dont on pourrait intégrer les dimensions individuelle et collective du TL. Je ferai appel pour cela aux travaux de Gilbert Simondon et à la lecture qu’en fait B. Aspe (2013) dans son article « Simondon et l’invention du transindividuel ».

Comment un profond changement dans les cadres de référence d’un certain nombre d’individus peut-il avoir un effet sur la transformation de leur environnement social ; comment il est possible de passer de la conscientisation à la transformation sociale, pour parler comme P. Freire ? C’est ce processus qui peut être éclairé par les analyses de Simondon dans son livre : « L’individuation psychique et collective », (Aubier, 1989). Tout d’abord il affirme que l’individu doit être toujours situé dans son milieu naturel, technique et social et qu’il n’existe vraiment que dans la mesure où il s’inscrit dans un réseau de relations. D’autre part l’individu n’est qu’une étape, un moment dans une dynamique, le résultat partiel et provisoire d’un processus continu d’individuation. Enfin, l’individu comme tout être vivant peut modifier ses structures en fonction des problèmes qu’il rencontre dans son milieu au cours de son individuation. C’est notamment le cas lorsqu’il est confronté à des conflits, des contradictions, des dilemmes qui peuvent provoquer des émotions ou de l’anxiété. Pour pouvoir modifier ses structures, ses cadres de références, ses croyances, ses positions, il doit transformer ses émotions en action sur le monde. Et il ne peut le faire que dans un collectif.

« C’est seulement dans l’expérience transindividuelle que l’émotion s’accomplit dans une action commune – dans un réseau d’actes. » En effet, « la relation transindividuelle traverse les individus en les incorporant à une réalité plus vaste qu’eux : un système de résonance. » … « donnant naissance à cet être nouveau, un collectif transindividuel »… (qui) « suppose l’invention de structures et d’opérations… pouvant constituer des éléments d’une invention politique »(Aspe 2013, p. 78).

Simondon utilise la métaphore de la cristallisation pour décrire ces phénomènes d’individuation individuelle et collective. Mais l’important est ce passage de l’émotion à l’acte grâce au collectif. Ce que Mezirow, après Freire, ajoute, c’est la dimension consciente, rationnelle du processus dans le TL, condition d’une action efficace et juste. Alors que B. Aspe, pour sa part, insiste plus sur la dimension éthique et politique. Son approche peut être rapprochée de ce que Guattari appelle une micropolitique ou « révolution moléculaire », et je conclurai mon intervention par cette citation qui résume bien l’essentiel de mon propos :

« La véritable politique que j’ai essayé d’englober dans l’expression « révolution moléculaire » (…) concerne le rapport des grands groupes sociaux à leur environnement, à leur mode de fonctionnement économique, mais aussi les attitudes qui traversent la vie individuelle, familiale, la vie inconsciente, la vie artistique, etc. » (Guattari 2013, p. 583).

Une théorie du Transformative Learning, que j’appelle aussi « translaboration »6 me semble elle aussi devoir prendre en compte les réalités macro sociales, économiques et politiques, aussi bien que les processus à l’échelle des individus, des petits et des grands groupes (genres, groupes ethniques, cultures, classes sociales, etc.) et la complexité des interactions entre ces différents niveaux.

Réferences bibliographiques :

Aspe, B.(2013).Simondon et l’invention du transidividuel, Revue des Livres, n° 12, (74-79).

Bensa, A. (2010). Après Lévi-Strauss. Pour une anthropologie à taille humaine. Paris : Textuel.

Bourdieu, P. (1997). Méditations pascaliennes, Paris : Seuil, p. 225)

Cranton, P. & al. (2006). Reflections on the Sixth International Transformative Learning Conference. Journal of Transformative Education, 4/2 (140-156).

Devereux, G. (1972). Ethnopsychanalyse complémentariste, Paris : Flammarion. (Deuxième édition: 1985, coll. Champs Flammarion).

Devereux, G. (1967). From Anxiety to Method in the Behavioral Sciences. Paris : Mouton. (traduction française : De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement, Flammarion, 1980).

Dirkx, J. M., Mezirow, J & Cranton P. (2006). Musings and reflections on the meaning, context and process of transformative learning. a dialogue between John M. Dirkx and Jack Mezirow. Journal of Transformative Education, 4/ 2. (213-139).

Godelier, M. (1984). L’Idéel et le Matériel. Paris : Fayard

Guattari, F. (2013). Qu’est-ce que l’écosophie ? Lignes IMEC.

Marx, K.  (1845). Ad Feuerbach. http://www.marxists.org/deutsch/archiv/marx-engels/1845/thesen/thesfeue-or.htm (consulté le 7/01/14).

Mauss, M. (1968/1924). Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie, in Sociologie et anthropologie. Paris :  PUF, p. 281-310).

Morin, E. & Le Moigne, J_L. (1999). L’intelligence de la complexité. Paris: L’Harmattan.

Morin, E.(2001). La méthode. 5. L’humanité de l’humanité. L’identité humaine. Paris : Seuil.

Mezirow, J. & Associates. (2000). Learning as transformation: A theory-in-progress. San Francisco: Jossey-Bass.

Simondon, G. (1989). L’individuation psychique et collective. Paris : Aubier.

Taylor, E. W. & Cranton, P. (Eds.). (2012). Handbook of transformative learning: Theory, research, and practice. San Francisco: Jossey-Bass.

Todorov, T. (1981). : Mikhail Bakhtine, le principe dialogique, Paris :Seuil.

Notes :

1 Cf. Bakhtine : « Tout ce qui me touche vient à ma conscience – à commencer par mon nom – depuis le monde extérieur, en passant par la bouche des autres (de la mère, etc.) avec leur intonation, leur tonalité émotionnelle et leurs valeurs. Initialement, je ne prends conscience de moi qu’à travers les autres : c’est d’eux que je reçois les mots, les formes, la tonalité qui forment ma première image de moi-même ». in T. Todorov : M.Bakhtine, le principe dialogique, Seuil, 1981, (p. 148).

2 « de nombreuses communications centrées sur des approches intuitives, imaginatives, basées sur l’art et holistes ; et en même temps des gens travaillant dans une perspective rationnelle et cognitive »

3 « le colloque a été vivant, avec une attention aux approches jungiennes et autres approches transpersonnelles de la transformation, aux apprentissages émancipateurs liés à la justice sociale et à l’intervention sociale, et avec la préoccupation importante de prendre en compte les multiples dimensions des personnes dans leur globalité »

4 « ce colloque devienne un foyer confortable pour tous ceux qui cherchent à construire des théories et des pratiques à propos des profonds changements dans les systèmes humains aux niveaux de l’individu aussi bien que du collectif. »

5 Variante Engels (1888) : La doctrine matérialiste qui veut que les hommes soient des produits des circonstances et de l’éducation, que, par conséquent, des hommes transformés soient des produits d’autres circonstances et d’une éducation modifiée oublie que ce sont précisément les hommes qui transforment les circonstances et que l’éducateur a lui-même besoin d’être éduqué.

6 Voir le site www.translaboration.fr

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